jeudi 26 février 2015

Lettre ouverte à Philippe Bilger, Magistrat honoraire à la Cour d'appel de Paris

Monsieur,

S'il y a bien une chose que je n'imaginais pas étant enfant, c'est le plaisir que je découvrirais à un âge de maturité qu'il y a à ouvrir un Code Pénal, s'interroger sur la nature d'un crime, et constater ce qu'en dit la loi et la jurisprudence.

La philosophie, l'histoire et la sémantique faisant symbiose pour déterminer si un fait peut réellement être qualifié de crime, et ce qu'il devrait en coûter tant aux pauvres qu'aux puissants d'avoir bafoué les règles que se donne une société.

Mais voyez vous, j'ai mal à ma Justice. Car si elle peut se montrer intraitable vis à vis de celui qui ne jouit ni de relations, ni de la fortune pour adresser le juste châtiment en réponse à son crime, la belle aveugle semble perdre sa cécité et transformer l'impératif au conditionnel, dès lors qu'un modeste citoyen dénonce les crimes des plus hautes autorités de son pays.

Je souhaite vous conter l'histoire de ma rencontre avec le Droit. J'espère que vous saurez me pardonner le temps de lecture que cela vous impose, mais il m'a fallu du temps pour être apprivoisé par une constitution, des traités et des codes, et je ne puis la résumer en quelques lignes.

Tout a commencé durant ma plus tendre enfance, même si je n'avais pas conscience du chemin que cela me ferait prendre bien des années après. J'étais un gamin passionné de sciences et de technologies. Je m'acheminais vers ma première décennie de vie dans une banlieue dortoir durant les années 80, et je nourrissais déjà des interrogations sur le rapport qu'entretenait l'humanité avec sa Terre nourricière. Aussi, je grandirais et fêterais l'avenue du second millénaire en même temps que mes vingt ans, avec une question en tête :

Tous ces livres que j'ai lu, ces documentaires que j'ai visionné, ces informations que j'ai écouté durant mon enfance et mon adolescence ; tout ce savoir m'alertait que les matières premières sont par nature limitées dans un monde fini. Et pour autant, je constatais bien vivre dans une société de gaspillage, où le libre échange était érigé en dogme, alors qu'il paraîtrait plus rationnel au nom de la science et de la souveraineté alimentaire des nations, de réguler notre consommation de pétrole.

Dans ce cas, qui décide d'un tel modèle économique ?

Voila monsieur, comment une question toute bête m'a amené à laisser de côté pour un temps mon intérêt pour les sciences et technologies, et rentrer dans l'antichambre de la Justice : la politique.

A ce stade de mon histoire, je dois préciser que je suis issu d'une génération pour laquelle les mots « gauche » et « droite » n'ont d'autre sens que ce que l'histoire peut bien nous en dire. Et l'histoire n'est pas censée donner tort ou raison à telle ou telle idée, elle se contente de décrire des faits passés. Je m'intéressais donc à la politique avec l'innocence d'un jeune homme ayant beaucoup à apprendre, et aucun idéal à défendre ou rejeter dans l'immédiat. Je souhaitais juste comprendre le monde qui m'entourait, et plus encore qui décidait de quoi.

J'élude ici les lectures et recherches qui m'ont amené à mettre un nom sur les institutions décidant du modèle économique. L'important étant que j'ai fini par trouver, mais sans connaissance aucune du moindre texte de droit à cette époque. A vingt-cinq ans donc, j'avais déjà bien compris que des institutions comme l'OMC ou l'Union Européenne imposaient la doctrine économique à suivre pour les États-membres de ces institutions. Cette même année, le Président Jacques Chirac me demandait mon avis sur la ratification du « Traité Constitutionnel Européen ». Je n'avais pas encore bien compris tous les enjeux et personne ne m'avait lu dans mon auto-radio le moindre article de traité. Mais intuitivement, je comprenais déjà qu'il valait mieux croiser le fer contre l'Union Européenne, plutôt qu'accepter qu'elle se dote d'un arsenal légal toujours plus coercitif contre les intérêts du peuple Français. Je votais donc en défaveur du texte en m'amusant des cris d'orfraie des politiciens et journalistes bien-pensants nous prédisant l’apocalypse. J'apprendrais bien plus tard que cette hystérie médiatique n'a en vérité rien d'amusant en démocratie...

Presque trois années vont passer, et coup de tonnerre en Europe ! Malgré deux référendums ayant opposé à ce projet de traité un non ferme (en France et aux Pays-Bas), M. Sarkozy piétine le choix souverain du peuple Français et ratifie le traité de Lisbonne, copie presque conforme du Traité Constitutionnel Européen. Mon avis sur le caractère « démocratique » de l'Union Européenne s'était déjà largement dégradé entre temps, mais c'est à ce moment là qu'un mot va se graver désormais dans mon esprit pour ne plus jamais être effacé :

DICTATURE !

Moins d'un an après cette forfaiture, la Banque Lehman Brothers s'effondre aux États-Unis d'Amérique et bien vite, la crise financière s'exporte en Europe. A cette époque, cela faisait déjà quelques années que j'avais jeté mon téléviseur. Désormais, j'allais moi-même chercher l'information sur les médias étrangers (particulièrement Suisses, Anglais et Russes) ou alternatifs. Je suivais sur les réseaux sociaux les publications de quelques personnalités politiques ou économistes dénonçant les décisions de la Commission Européenne. Bref, je n'étais désormais plus un temps de cerveau disponible à qui l'on faisait ingurgiter une certaine propagande tour à tour angélique sur l'Union Européenne et les guerres occidentales dans le Monde, et anxiogènes s'agissant des personnes ou idées s'opposant à ces décisions.

C'est de cette façon que je finis par tomber sur l'enregistrement vidéo d'une conférence donnée par un type tout à fait étrange. Inspecteur Général des Finances, brillant élève de H.E.C et de l'E.N.A, à priori, ce garçon là allait me raconter la même pensée unique qui sied tant aux hauts fonctionnaires de notre pays. Ce Monsieur (dont je tairais le nom) allait vite me surprendre et renverser totalement la table européenne sous mes yeux. Et pourtant, il sera méthodique. Article de traité après article de traité, le voilà qui énumère ce qui décide des dérégulations qui appauvrissent notre pays, et organise le gaspillage le plus monumental de ressources financières, énergétiques et matérielles depuis la dernière guerre mondiale.

Voila donc ma première rencontre avec le Droit, Monsieur. Cet homme invitait à ce que l'on se joigne à lui dans le parti politique qu'il avait fondé, pour sortir de l'Union Européenne, l'euro et l'OTAN. Après quelques semaines de réflexion et de recherche, je le rejoins. Et je découvre pour la première fois de ma vie ce qu'est le militantisme politique et les frustrations qui vont avec. Je préfère taire celles-ci et simplement signifier qu'au bout de quelques mois, j'ai claqué la porte de son parti politique avec un constat sociologique bien vite appris : les partis politiques fonctionnent à l'égal des religions. Certains militants ne jurent plus que par la bible de leur parti et haïssent adversaires et partenaires objectifs. D'autres plus modérés se disent que le grand soir finira bien par arriver et que leur prophète sera enfin entendu (invité) dans les médias. Et certains dont je faisais parti, ne voyaient dans un parti politique qu'un banal outil pour véhiculer des idées, rien de plus.

Mais voilà, nous sommes déjà en 2012 quand cette période de ma vie s'achève et depuis 32 années que je vis ici-bas, je n'ai pas souvenance d'un grand soir électoral. Celui qui aurait fait table rase des dogmes économiques prévalant depuis le début des années 70. Celui qui aurait évincé les oligarques s'accaparant le pouvoir sans partage. Celui qui aurait permis au peuple de modifier voire changer lui-même de constitution pour reprendre le chemin de la démocratie.

En revanche, quand on a dépassé l'âge de trente ans, on conscientise fortement le caractère éphémère et fragile de sa propre vie. Nos vingt ans sont désormais derrière nous, ils ne reviendront jamais plus. Nous ne sommes que des étincelles dans les abîmes du temps, et les sursauts historiques ne se nourrissent pas de la continuité d'un ordre établi, mais bien de la témérité et la foi de quelques femmes et hommes pour braver les puissants.

J'ai donc commencé à étudier les révolutions...

Et ce fut ma seconde rencontre avec le Droit. La plus belle. En effet, de cette garce, je n'avais connu que la littérature valant oppression, règles arbitraires se superposant aux référendums, déni de démocratie, ré-écriture de l'histoire, duperies sur la liberté d'expression. Et puis, je me suis souvenu de la déclaration des droits de l'homme de 1789 :

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ».

Alors quoi ? La Résistance à l'oppression est donc un droit constitutionnel ? Les hommes ont donc bien le droit de s'insurger contre leurs gouvernements ? Mais comment ? Dans quelles limites ? Quelle intensité et face à l'imminence de quels périls ?

De lectures en conférences, de recherches en réflexions, j'ai alors épluché l'oignon du droit légitimant l'insurrection. Le législateur n'avait aucune raison de trop en dire ou le codifier, surtout contre lui-même, c'est entendu. Mais il s'est toujours trouvé quelques parlementaires, juges et philosophes dans l'histoire, pour décrire ce Droit Naturel. De Socrate à Robespierre, la philosophie va s'immiscer dans la loi. La Constitution de 1793 voit dans la Déclaration des droits de l'homme lui faisant préambule le célébrissime article 35 apparaître :

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

La loi fondamentale Allemande aussi s'en fait l'écho dans son article 20 :

« La République fédérale d’Allemagne est un État fédéral démocratique et social.

Tout pouvoir d’État émane du peuple. Le peuple l’exerce au moyen d’élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Le pouvoir législatif est lié par l’ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit

Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre, s’il n’y a pas d’autre remède possible ».

Et puis le Code Pénal enfin sur l'état de nécessité :

« N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

Dans le droit international, on parlera aussi d'état de nécessité, voire de cas de force majeure. Mais paradoxalement, c'est la loi fondamentale Allemande qui va m'inciter à éplucher le Code Pénal. En effet, le Germain est rigoureux, et quand il signifie « s'il n'y a pas d'autre remède possible », il nous invite à d'abord chercher tous les remèdes existants dans un État de Droit. Plus encore, il nous impose de justifier implicitement l'oppression à laquelle un peuple fait face pour légitimer son insurrection.

Les affaires de corruption, d'évasion fiscale, de détournements de biens sociaux pourraient en soi suffire à démontrer le délitement de l’État. De même, quand dans le droit positif, la déclaration des droits de l'homme de 1793 dispose que toute souveraineté émane du peuple, et qu'elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable, je pourrais m'arrêter là et crier à l'oppression ! Philippe Séguin avait dit lui-même dans son discours du 5 mai 1992 que le Traité de Maastricht était « l'anti-1789 ». Je pourrais encore évoquer le fait qu'une réforme constitutionnelle n'est pas rétroactive, et qu'à l'époque de la ratification du Traité de Lisbonne, ce qui faisait foi s'agissant de la nature du référendum, c'était la Convention de Venise qui disposait qu'il fallait attendre cinq années avant de pouvoir soumettre au législateur un texte refusé par le peuple au travers d'un Référendum. Que l'article 11 de la Constitution n'avait alors pas été modifié en congrès, et qu'à cette époque, ça n'était pas deux ans qu'il fallait attendre, mais bien cinq !

Je pourrais tout aussi bien hurler que l'élection n'est pas de la nature de la démocratie, comme l'écrivait si bien Montesquieu. Seuls les plus riches ou les gens de réseaux peuvent s'offrir les caméras et le budget d'une campagne électorale.

Mais le magistrat est tatillon. Il ne considère l'oppression (autre mot pour définir le crime de lèse-Nation) qu'à partir d'un ensemble de lois incontestables et parfaitement explicites. La philosophie du Droit n'est qu'un plaisir privé, pas un socle intellectuel pour rendre justice.

Pour justifier l'oppression, il me fallait donc me poser la question suivante :

Qu'est ce qui est de l'ordre d'une décision politique parfaitement légale, et qu'est ce qui est de l'ordre du crime pour un Président de la République, un Ministre, ou un Député ?

Et c'est ici que se termine mon histoire Monsieur, car je vous livre en plus de ce courrier, la copie d'un autre envoyé à Françoise Canivet, Présidente de la Commission des requêtes. Je vous l'envoie comme certains jettent une bouteille à la mer, car j'apprécie vos réflexions et nourris quelques espérances sur votre indépendance d'esprit.

Je n'ai qu'un brevet des collèges en poche et je ne deviendrais jamais avocat ou magistrat, cela malgré mon intérêt tardif pour le Droit. Si ma fortune avait été toute autre, j'emploierais toutes les possibilités d'une telle fonction pour instruire le procès non pas politique mais bien criminel d'un triste sire se rendant coupable d'intelligences avec des puissances étrangères, et visiblement déterminé à enfoncer la France dans des remugles historiques dont nous nous passerions volontiers à l'ère nucléaire.

Aujourd'hui, je me demande pourquoi des magistrats et avocats qui connaissent le droit bien mieux que le modeste citoyen que je suis, ne défendent pas le peuple contre les fous qui le malmènent ? Comment la Justice de notre pays a-t-elle pu laisser des politiciens nous déshabiller d'une Souveraineté reconnue comme une et indivisible, inaliénable et imprescriptible ?

Est ce que le premier pilier de la démocratie est aussi
un Droit que le législateur peut aliéner impunément ?

Je ne suis pas sûr d'avoir un jour réponse à cette question Monsieur. Mais si aucun ténor du barreau ne vient défendre le peuple et énoncer l'acte d'accusation contre l'oligarchie qui prétendait l'asservir, alors je crois qu'il sera pour le peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs que de résister à l'oppression, sans plus attendre que la Justice le soutienne.

Je suis parfaitement conscient de la dualité existante entre les libertés fondamentales et ce qui fait un État de Droit, Monsieur. Actuellement, c'est l’État de Droit qui se délite au point que le Droit Naturel revient frapper à nos portes. Je vous serais gré de bien vouloir défendre ces deux nécessités. Il y-a désormais urgence, une sourde rumeur gronde dans les chaumières...

Puisse mon appel être entendu,

Respectueusement,

Sylvain Baron

pour les Décrocheurs...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Quelque chose à ajouter ?