lundi 30 janvier 2017

Un conflit générationnel...

Posons pour commencer un cadre : Antoinette, 67 ans, enseignante à la retraite, électrice P.S devant l'éternel. C'est un peu caricatural, mais ça ne manque pas de fondement social. Plaçons Antoinette dans un contexte propice à la discussion : à l'occasion d'un repas de famille, on écoute presque machinalement le bruit de fond de la télévision :

« Benoît Hamon, le frondeur socialiste a aujourd'hui accusé François Fillon de soutenir un programme de casse sociale inacceptable ». 

Antoinette ne peut s'empêcher de réagir à l'information :

- Il est bien ce Hamon ! Il est jeune et il est de gauche ! Lui au moins n'est pas comme les autres. 


Marie, sa petite fille de 24 ans, sans emploi depuis qu'elle a terminé ses études, lève les yeux vers le ciel et met fin à l'instant de béatitude de sa grand-mère :


- Qu'est ce que tu sais de la personnalité et des idées de Benoît Hamon, mamie ? 

- Tu en poses de drôles de questions ! Ben voyons, il est de gauche et il est si beau garçon ! 

- Je ne trouve pas. En revanche, je suis d'accord avec toi, il est de gauche. Seulement, tu sais d'où vient cette distinction gauche/droite ? Ce qu'est la réalité de la gauche dans l'histoire ? 

- Ça doit remonter à la révolution française tout ça ! 

- Oui, c'est exact, cependant, ce qu'on appelait parfois « la gauche » peu de temps après la Révolution, était le courant bourgeois libéral. Marx n'était pas encore né et la SFIO attendra encore un siècle avant d'être instituée. Au 19ème siècle, on ne parlait pratiquement pas de la gauche, mais des courants anarchistes, socialistes et marxistes qui s'opposaient aux courants conservateurs ou royalistes. 

- Oui bon et alors, qu'est ce que cela à voir avec M. Hamont ? 

- Eh bien Benoît Hamon est tout à fait sincère quand il dit être de gauche puisqu'il est à la fois un libéral et un bourgeois, mais il ment lorsqu'il dit être socialiste. A moins que tu l'ai entendu dire un jour, qu'il souhaitait socialiser les grands moyens de production ou qu'il se revendiquait de la lutte des classes ? Car c'est là le fondement même du socialisme. 

- Tu veux dire nationaliser des entreprises ? Allons voyons ma petite fille, c'est désormais loin ce temps là ! 

- Ah bon Mamie, sous De Gaulle jusqu'à l'ère Mitterrand, il n'y avait pas d'entreprises publiques en France ? 

- Bien sur que si, mais on a plus les moyens de gérer tout ça. 

- Tiens donc, qu'en sais-tu exactement ? 

- Eh bien, s'ils ne cessent de le dire à la télévision, c'est que ça doit être vrai ! 

- Nous avons parfaitement les moyens de nationaliser des entreprises. A ton époque, les gens étaient heureux d'avoir du boulot parce que de grands monopoles industriels publics, donnaient du travail à un très grand nombre de PME. Aujourd'hui, nous n'aurions pas le droit à cela ? 

- Mais à mon époque, n'imagine pas que les choses étaient plus faciles qu'aujourd'hui. 

- Sans doute mamie, mais nous étions encore un peuple souverain et indépendant. Là, ça n'est plus le cas, et tu sais c'est quoi le programme de Hamon ? Il se résume en quatre lettres : 


- Qu'est-ce que c'est que ça encore ? 

- Ce sont l'ensemble des règles économiques que ce soit sur la monnaie, la réglementation, les flux de capitaux ou encore les régulations douanières qu'Hamon refuse de dénoncer. C'est le Traité de Lisbonne si tu préfères. 

- Mais si, je l'ai entendu dire qu'il voulait que... comment ça s'appelle déjà... que la BCE finance le budget de l'Europe. 

- C'est l'Union européenne, mamie, pas l'Europe. La Suisse, la Norvège, l'Islande et désormais le Royaume-Uni ne sont pas dans l'Union européenne. Ensuite, comment il va faire Hamon pour obtenir le consentement des Allemands quant à son projet de faire financer par la BCE le budget de l'U.E ? 

- J'en sais rien moi, tu en poses de drôles de questions ! 

- Justement mamie, t'as déjà entendu des journalistes poser ce genre de questions aux candidats à la présidentielle sur France Inter ou RTL ? 

- Non, y a que toi ma petite fille pour poser ces questions étranges. Tu devrais faire de la politique tiens, vu comment tu es passionnée ! 

- Mamie, je ne suis pas passionnée, je suis en colère. Je n'aspire à rien d'autre que m'intéresser à des choses plus légères que la politique. Je suis obligée de m'y intéresser car je constate que plus le temps passe, plus il y a de guerres, plus notre démocratie recule et plus il y a de clochards qui crèvent dans les rues. Ça ne t'interroge pas qu'un pays aussi riche et puissant que la France se porte aussi mal, contrairement à des plus petits pays comme la Suisse ou l'Islande  ? 

- C'est comme ça, Marie, on ne peut pas y changer grand chose. 

- Pourtant tu sembles prête à voter pour Benoît Hamon. Alors effectivement, dans ce cadre, rien ne changera. 

- Mais pour qui voudrais-tu que je vote ? Marine Le Pen ??? 

- Mamie, je m'en fous de pour qui tu votes. Ce que j'aimerais, c'est que tu éteignes ta télévision, aille consulter les médias alternatifs sur Internet dont je t'ai parlé, et que tu écoutes des gens comme Étienne Chouard, François Asselineau, Jacques Sapir ou encore Magali Pernin, t'expliquer c'est quoi l'Union européenne dans la réalité. Et que tu arrêtes aussi de faire confiance à des carriéristes de la politique qui sont installés depuis plusieurs décennies, ont été ministres, députés, et finalement, lois après lois, année après année, n'ont cessé de détruire un peu plus notre pays. 

- Mais enfin tu m'embêtes avec ton Union européenne ! On peut pas tirer un trait sur tout ça quand même ? 

- Donc tu veux condamner les Grecs à subir encore et toujours des cures d'austérité ? Tu considères que les Espagnols n'ont pas assez souffert ? Que l'Allemagne comme durant la Seconde Guerre Mondiale, peut imposer ses vues politiques et économiques à la France et au reste de l'Europe ? 

- Bien sur que non ma chérie, mais de là à vouloir sortir de l'U.E... 

- Mamie, ça n'est qu'un traité, rien de plus. On va pas arracher la France à la croûte terrestre ou subir une guerre atomique pour ça. Même si dans les médias, tout est fait pour nous faire peur, tu vois bien que le Brexit n'a été suivi d'aucune catastrophe ! 

- Mais si on sort de l'euro, la monnaie va être dévaluée et ça sera pareil pour mes économies ! 

- Oui et non Mamie. La première chose qu'il se passera, c'est la restauration du contrôle des mouvements de capitaux. En gros, lorsque Mital souhaitera fermer une usine en France pour en ouvrir une autre ailleurs, il ne pourra plus le faire aussi simplement. De la même façon, quand les banksters voudront faire fuir leurs capitaux hors de France pour ne pas payer d'impôts, même punition : ça deviendra très compliqué pour eux. Ensuite, nous rétablirons le FRANC à parité avec l'euro. Pas de calculs compliqués au moment du changement de la monnaie comme la première fois, ça sera même très simple : un franc = un euro. Ensuite pour ton épargne Mamie, même si le FRANC devait perdre un peu de valeur, ça sera compensé avec des taux d'intérêts supérieurs, c'est tout. Et puis si ça peut m'aider à enfin trouver du boulot ? 

- C'est trop compliqué pour moi tout ça Marie, mais je vois bien que ça t'inquiète tout ça. Et que penses-tu d'Emmanuel Macron, il est bien lui-aussi ? 

- Qu'on me donne une corde, c'est pas possible...

FIN

mardi 10 janvier 2017

Humain... oui mais politique !

S'il est un terme qui ressort régulièrement dans les débats politiques - jusqu'à me semble-t-il en polluer leur essence profonde - c'est bien le mot "humain". C'est donc dans le but de marquer une distinction claire entre ce qui relève de l'humain et ce qui relève du politique, que je souhaite explorer avec vous, cette question qui oppose les "spirituels" aux animaux politiques de ma trempe.

Tout d'abord, relevons immédiatement que si les deux termes existent, c'est bien parce qu'ils ont une signification différente. A partir de là, on pourrait s'économiser une quelconque réflexion à ce sujet. Mais puisque le Français est verbeux et apprécie de faire converger des termes ayant chacun leur propre définition, allons un peu plus loin.

Que dit d'abord le Larousse à propos du mot "humain" ?

- "Qui possède les caractéristiques spécifiques de l'homme en tant que représentant de son espèce ; qui est composé d'hommes : Être humain. L'espèce humaine.


- Qui est relatif à l'homme, qui lui est propre : Corps humain. Une tâche qui excède les forces humaines.


- Qui porte sur un des aspects de l'individualité de l'homme ou de son activité : Sciences humaines. Anatomie humaine.


- Qui manifeste à un haut degré la sensibilité, la compréhension propres à l'homme en tant qu'individu dans un groupe social : Chercher des solutions humaines à un problème social délicat. Un magistrat humain.


- Qui est en accord, en harmonie avec tous les caractères de l'homme, qui les manifeste (tant du point de vue de la force que de la faiblesse, de la grandeur que de la petitesse, etc.) : Une architecture humaine. C'est une réaction bien humaine".

Les deux premières définitions renvoient donc à notre biologie en tant qu'espèce, ou de façon plus provocante pour certains courants philosophiques, à notre animalité.

Mais les définitions qui suivent ne sont pas moins liées à notre chair. Le propre de l'humain, c'est son caractère sensible pour le meilleur ou pour le pire. Nous disons d'une personne qu'elle se comporte avec humanité pour témoigner à la fois de sa sensibilité et de son altruisme. De même que nous signifions qu'une réaction est profondément humaine (y compris lorsque nous la considérons comme néfaste) lorsque nos émotions prennent le dessus dans la résolution d'un problème. Mais l'Homme ne peut s'empêcher de considérer ses attributs d'espèce à un niveau supérieur face au reste du vivant. On ne parlera jamais de l'humanisme d'un cheval. On ne dira jamais d'un ours qu'il s'est comporté avec humanité avec l'un de ses semblables sauf à vouloir sombrer dans un anthropomorphisme douteux. Nous savons que les animaux peuvent se montrer tendres, intelligents et altruistes, mais nous ne leur reconnaissons ces qualités que de façon circonstancielle et non comme des attributs propres et inaliénables à leur espèce. L'humanité au sens de ces considérations morales, est donc une dimension d'âme que nous proclamons être le propre de l'Homme, qu'importe que des individus puissent être coupables de crimes de sang, se montrer tyranniques, cruels, manipulateurs, et tout un florilège de malveillances qui sont aussi le propre de l'être humain. Pourtant, nous n'aimons pas intégrer cette part maléfique qui existe aussi en notre humanité, à la notion même d'humanité. Peut-être craignons nous de constater que la plupart des animaux sont finalement plus humains que nous puisque dépourvus pour l'essentiel d'entre eux, de l'intelligence nécessaire à fomenter de telles malveillances.

Toujours est-il que se comporter avec humanité, revient toujours à notre dimension d'êtres de chair forgeant leur interaction avec autrui sous le prisme de notre empathie, notre sollicitude, et notre volonté d'aider. Nous sommes des animaux sociaux conditionnés à une certaine sensibilité pour ce que l'autre éprouve. Nous ressentons le besoin spécifique et même égoïste, de nous soulager des émotions qui nous affectent en portant assistance à celle ou celui qui souffre. Je dis bien égoïste, car lorsque nous tentons d'aider autrui, c'est à seule fin de rétablir un certain équilibre émotionnel plus confortable en nous libérant de toute surcharge d'affect que l'exposition au malheur d'autrui a provoqué. Par extension, ces marques d'altruisme découlant de notre empathie naturelle, ont forgé nos valeurs morales jusqu'à finalement les ériger en un ensemble plus complet que nous définissons par le terme "humanité". Le fait de les méditer ou les transcrire dans des préceptes philosophiques voire politiques, c'est de l'humanisme.

Agir avec humanité n'est pas le propre de tous les êtres humains, loin s'en faut, si l'on considère donc l'aspect moral et sensitif de la question. L'humanité dans ce sens, est le propre d'un certain nombre d'individus. On fait les louanges de l'humanité d'une personne, par rapport à son comportement social avec les autres. Qui dit comportement social, suppose un ensemble d'actions et d’interactions parfaitement concrètes et directes avec autrui. On pourra aussi relever l'humanité d'une personne, non sur sa relation aux autres, mais sur sa seule sensibilité qui nous touche. 

Quoi qu'il arrive, il devient assez évident à ce stade, qu'agir avec humanité est difficilement conciliable avec une activité ou une réflexion politique. L'humanité touche à l'affect, le politique traite de la raison. Cependant, comme précisé plus haut, un courant philosophique découle de la notion d'humanité : l'humanisme.

Apparu au XVIème siècle, ce courant place les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres et propose rien de moins que d'en faire une quête autant philosophique que politique (plus récemment) et spirituelle pour l'ensemble des Hommes.

Mais c'est précisément ici que la scission entre politique et humanité intervient. L'humanité est rappelons-le, propre à l'individu sur la base d'un comportement social ou sa sensibilité particulière. Tandis qu'une quête philosophique pouvant effectivement trouver une partie de sa traduction dans le champ politique, n'est plus affaire de comportement de chacun vis à vis des autres. Nous rentrons dans la sphère des idées et des valeurs, particulièrement dans ce qui relève de la philosophie ou la spiritualité. L'on peut par intégrité morale avec ses valeurs propres, suivre une voie humaniste jusque dans la conduite de sa propre vie, mais il ne s'agit plus dans ce cas d'un comportement naturellement (ou égoïstement) altruiste. C'est une discipline personnelle, un auto-conditionnement, un effort consenti, cela en vue de faire progresser une quête qui nous transcende. On suppose dans cet effort, l'idée que notre exemplarité autant que notre action, contribuent à améliorer le monde.

Vient ensuite la chose politique qui fait toujours appel aux idées, mais tente de concilier la quête humaniste au réalisme. Car le politique que ce soit dans sa législation ou ses décisions, se confronte constamment au conflit ainsi qu'à des choix éthiques et moraux qui peuvent être douloureux, même lorsqu'ils supposent un progrès humaniste espéré sur le long terme. Par ailleurs, le politique imprime l'obligation ou l’interdiction morale (devenant loi) d'un comportement, indépendamment de la volonté de tous les individus qui s'estiment ou non, parties prenantes à une quête humaniste. 

En clair, là où la spiritualité implique la volonté propre des individus à une certaine quête morale et humaniste, le politique pour sa part, assume que les assassins, les cupides, les voleurs et les malveillants de tous poils continueront d'exister, indépendamment de la discipline de vie dans laquelle s'inscrivent quelques individus rares et précieux. Plus fondamentalement encore, on peut dire qu'il y a sans doute autant d'individus inscrits dans une certaine quête spirituelle et humaniste que d'individus malveillants. Et entre ces deux types d'humanités, une écrasante majorité qui ne souhaite simplement pas causer du tort à autrui, sans pour autant exiger d'elle-même des efforts autres que ceux nécessaires à sa propre survie et son propre confort. Une majorité donc, qui bien que dépourvue de malveillance, ne s'inscrit pas naturellement dans un projet humaniste ou spirituel quelconque. 

C'est avec cela que compose le politique. Les débats éthiques qui en découlent sont ainsi intenses et difficiles. Car si la quête de progrès humain se veut en arrière fond de l'élaboration d'une loi ou d'une décision politique, elle oblige bien souvent son défenseur à causer du tort à certains groupes sociaux dans la seule finalité de servir le plus grand nombre, ou au contraire léser ce dernier, pour résoudre un problème majeur d'un petit nombre.

Il y a par exemple plus de 200.000 sans abris en France. C'est donc un problème partagé par une minorité de la population. Mais un problème suffisamment grave, pour que la majorité consente (par la loi) à financer un ensemble de solutions qui elles-mêmes, pourront s'avérer imparfaites. Décrivons ici un cas éthique générant inévitablement du conflit que se doit assumer le politique :

Sur ces 200.000 personnes à la rue, près de 55 % sont nées à l'étranger. Le politique doit donc trouver des solutions pour tout le monde, tout en se conformant à une règle essentielle pour toutes les communautés nationales : protéger les siens d'abord, aider les autres ensuite. Le panel des solutions n'est pas extensible à l'infini, mais se gradue entre les mesures d'urgence et les mesures d'accompagnement de plus long terme.

On peut donc réquisitionner des logements vides (ce qui lésera forcément des personnes) ; des infrastructures privées ou publiques de façon exceptionnelle (ce qui lésera aussi d'autres personnes) ; et financer la location d'infrastructures d'habitations temporaires (ce qui aura un coût pour l'ensemble des citoyens) pour palier à l'urgence. 

Vient ensuite l'accompagnement de long terme qui demande des coûts plus élevés encore pour la collectivité, cela par le financement de logements à construire ou l'achat de logements déjà existants, ainsi que l'accompagnement social et les allocations nécessaires à l'aide nécessaire à ces personnes en situation de grande précarité. Il peut être décidé de raccompagner à la frontière les migrants illégaux en situation de grande précarité afin de soulager la collectivité des coûts de long terme que représente un tel accompagnement social et infrastructurel, pour mieux répondre aux besoins des nationaux. Mais la dimension humaniste sous-tendant nos politiques publiques, suppose de considérer les raisons ayant poussé des ressortissants étrangers à s'expatrier en France et terminer leur route directement dans la rue, plutôt que dans un logement digne. Ce qui suppose cette fois-ci de s'intéresser à ce qu'il se passe à l'extérieur de notre pays, des responsabilités que nous pouvons avoir dans ces processus migratoires, et des réponses à y donner. Ce qui signifie qu'avant même d'évoquer l'idée de raccompagner à la frontière une personne, il ne peut être éludé ce qu'elle retrouvera comme conditions de vie en son propre pays. Un réfugié de guerre risquant la mort s'il retournait dans sa patrie, ne peut décemment pas être raccompagné vers sa terre de naissance. Un réfugié économique sera en droit d'exiger que son retour puisse signifier des opportunités de travail et de revenus à même de subvenir à son existence. Mais le politique, s'il devait juger que les intérêts tant des sans abris disposant de la nationalité française que l'ensemble de la collectivité resteraient fragilisés par l'accueil et l'accompagnement de ces migrants devenus sans abris dans les faits, a aussi le pouvoir et même le devoir d'ignorer ces revendications qui sont extérieures aux intérêts qu'ils défend en premier lieu.

Je ne précise pas ma pensée propre à ce sujet, mais illustre par cet exemple précis, ce qui relève du politique imposant ses décisions et ses normes au nom de l'intérêt général, cela en cherchant le meilleur point d'équilibre sur le débat éthique sous-jacent à la résolution d'un tel problème.

Manifestement, s'il était avéré que l'ensemble des citoyens adoptaient un comportement empli d'humanité, que ce soit naturellement ou par une forme d'auto-discipline (relevant donc d'une forme de spiritualité), il n'y aurait pas 200.000 personnes à la rue, indépendamment de leurs origines nationales. On peut même faire remarquer que la plupart des gens qui n'ont que le mot "humain" à la bouche, sont souvent les plus hypocrites puisqu'ils attendent du politique qu'il règle pour eux, ce qu'ils ne se sentent pas le désir ou la contrainte consentie d'assumer eux-mêmes. Et je n'évoque ici que l'un des problèmes humains les plus graves, les plus immédiats et les plus aisés à régler pour l'ensemble de la collectivité en toute indépendance du politique. Quand on évoque 200.000 personnes à la rue sur une population d'environ 67 Millions d'habitants, que l'on s'abstienne de me dire qu'il faut considérer les choses avec humanité, surtout si l'on ne contribue pas soi-même à agir avec altruisme. 

Il faut donc distinguer très précisément ce qui relève d'un comportement individuel, finalement assez rare que l'on appelle "humanité" ; une contrainte spirituelle que l'on s'impose pour tendre vers un certain humanisme partagé collectivement et en dehors de la contrainte politique ; d'une solution politique empreinte de réalisme avec son lot de difficultés éthiques indépassables, mais dont l'ambition de long terme est de tendre vers une société utopique (et donc humaniste). 

Ainsi, je réponds à celles et ceux qui me reprochent de parler "comme les politiques", que c'est parce que je préfère faire usage du langage de la raison plutôt que celui de la religiosité ou encore celui de l'affect, que je m'exprime ainsi. Je choisi ce mode de résolution des problèmes de société, car je ne suis ni hypocrite, ni croyant en la dimension spirituelle ou même humanitaire de la majorité des êtres humains. J'ai totalement foi en l'idée que le langage politique s'élève au-dessus de notre dimension charnelle (c'est à dire nos émotions), et observe sans compromission l'ensemble des contraintes dont il faudra tenir compte avant de proposer la solution la moins immorale que possible pour répondre concrètement (par la puissance publique) à un problème de société donné. 

Reste une question : suis-je moi-même humain si je me comporte en politique désespérément froid et capable d'admettre que l'on peut léser certains groupes sociaux au profit de l'intérêt général ?

Et la réponse sera assez simple à formuler :

Il revient uniquement à ceux qui me connaissent en tant qu'individu (et non en tant qu'être politique), d'y répondre. Je suis la personne la plus mal placée pour juger de mes valeurs "humaines". Mais de la même façon, me juger sur les idées que j'expose sans me connaître personnellement, c'est précisément faire fi de ma potentielle humanité, et ne pas observer les rigueurs nécessaires au développement de la sienne propre.

Si je puis donc me permettre un conseil, en admettant d'emblée ne pas être la personne la plus sage pour en donner : ne parlons pas d'humanité, soyons humains autant que possible sans nous en glorifier. Ne mélangeons pas ce qui relève de la politique de nos comportements individuels autant que de nos cheminements spirituels, chaque mot à sa place pour décrire des choses très différentes. On peut refuser la voie politique pour changer le monde, mais il est inutile d'espérer d'un être politique qu'il embrasse notre cheminement spirituel ou adopte notre comportement humain qui n'est propre qu'à nous-même.

Que les choses soient donc claires pour tous ceux qui veulent m'embarquer dans leur philosophie pleine "d'humanité", je mettrais toujours un point d'honneur à vous désespérer en tant qu'être politique.

Sylvain Baron




mardi 3 janvier 2017

Le véritable état d'urgence

Combien de fois m'a t'on suggéré d'apprendre la patience s'agissant de toute forme de combat politique ? Je ne pourrais le dire, mais ce fut assez régulier pour que je puisse trouver en moi les ressorts nécessaires afin d'apprivoiser cette disposition d'esprit. Ce qui ne fut jamais fait et pour cause : je suis habité par un sentiment d'urgence. J'ai pleinement conscience des périls qui nous menacent, et je sais ô combien que notre inaction prépare les hécatombes de demain, tout en laissant se perpétuer celles d'aujourd'hui. 

Que l'on juge certains chiffres. Chaque année, ce sont plusieurs centaines de milliers d'innocents qui meurent dans des guerres dont on sait parfaitement qui les déclenche et les entretient. Une campagne de bombardement comme celle qu'a subit la Libye représente plusieurs dizaines de milliers d'engins explosifs largués chaque année sur les zones de conflit. L'industrie de l'armement se frotte les mains...

Plus près de nous, ce sont entre 400 et 500 sans abris qui meurent chaque année en France, du fait de ne pas avoir trouvé une réponse des services sociaux leur permettant de trouver immédiatement des solutions d'hébergement qui soient décentes et dignes. Si Dieu m'a épargné de connaître les horreurs de la guerre, j'ai expérimenté dans ma jeunesse ce que cela signifie d'être à la rue. Je ne souhaite à personne de connaître cette situation. Et pourtant, plus de 3,5 Millions de Français dorment aujourd'hui dans des abris de fortune selon la fondation Abbé Pierre. Dans un pays aussi riche que la France, c'est proprement scandaleux ! Et ce chiffre ne cesse d'augmenter avec ses corollaires. L'an dernier, les Restos du Cœur déclaraient avoir franchi la barre symbolique du million de bénéficiaires d'aide alimentaire. Comment peut-on trouver de la patience en soi, lorsque l'on est conscient jusque dans sa chair de ces réalités ? Sans doute, le gigantesque brasier qui alimente ma colère trouve son oxygène dans mon propre vécu, et pourtant, je me garde bien de le faire interférer dans ma réflexion politique générale qui ne peut souffrir de raccourcis émotifs pour être réellement analytique. Pour autant, faut-il pousser sous le tapis cette gigantesque machine à forger la misère qui nous est imposé au sein de nos propres frontières par des traités scélérats ? D'ailleurs, parlons économie pour évaluer dans quelle folie nous sommes embarqués :

Plus de 5,4 Millions de Français sont sans emploi ou ne parviennent pas à trouver du travail de façon régulière sur un total de 28,6 Millions de citoyens en âge de travailler. Si l'on considère le nombre d'étudiants infléchissant la définition que l'on donne à la population active, c'est donc près d'un Français sur cinq qui est sans emploi. Aucune famille n'est épargnée par ce fléau.

Je pourrais évoquer l'immense endettement public qui se superpose à une création monétaire sans discontinuer au profit de la spéculation outrancière d'un certain nombre d'entités financières. De la monnaie livrée quasiment gratuitement à des banques en notre nom, et qui s'évapore dans des produits financiers douteux pour l'essentiel, alors que les besoins de l'Etat, des entreprises et des particuliers sont immenses, quoi que bien moindres que ce qui est exigé par les vampires financiers qui nous assassinent. Une véritable mafia bancaire a pris le pouvoir sur les peuples, et nous la laissons décider de l'utilisation qui peut être faite de la monnaie que nous sommes seuls habilités en tant que nation, à émettre ou non.  Toute monnaie émise avec l'autorisation du Gouverneur de la Banque de France, est une dette contractée au nom du peuple et gagée sur nos impôts. Et pourtant, nul ne parle d'un impôt dû au système financier par le peuple.

Évoquons d'autres urgences encore. Chaque jour, plus de 165 hectares d'espaces naturels disparaissent en France sous le béton et le bitume. Ce chiffre est absolument fou. Tous les 10 ans, l'équivalent d'un département comme la Seine et Marne, se retrouve artificialisé définitivement par des routes, parkings, zones industrielles, centres commerciaux et immeubles. Ce phénomène qui n'est pas propre qu'à la France, contribue pour partie à l'éradication  de plus de 26.000 espèces animales et végétales de la Terre chaque année. Toutes les 20 minutes, une plante ou un animal est définitivement rayé de la surface du globe, ce qui outre la perte irrémédiable que cela suppose pour la science et en particulier la pharmacologie, constitue le témoignage d'une arrogance humaine que notre Terre nourricière saura un jour nous faire payer. Disposer du pouvoir de modifier notre environnement à loisir, implique une écrasante responsabilité pour l'Homme quant à son interaction avec la Nature. Considérer que seuls les animaux et plantes domestiques ont une quelconque utilité, c'est faire fi à la fois des services immenses rendus par la biodiversité à notre agriculture et notre médecine, mais plus philosophiquement, c'est rejeter la magnificence de notre Jardin d'Eden, ce qui pose la question de notre conscience collective quant à notre relation à la Nature. 

Mais si un seul chiffre devrait absolument effrayer l'ensemble de nos concitoyens, c'est celui-ci : 1500 Milliards de barils de pétrole. C'est plus ou moins ce qui reste de réserves de pétrole exploitable dans le monde sur un total d'environ 3000 Milliards de barils, dont la moitié a donc déjà été consommé par l'humanité depuis l’avènement de l'huile de pierre. Chaque jour, nous consommons l'équivalent de 95 Millions de barils de pétrole dans le monde, ce qui fait dire à l'ensemble des spécialistes - y compris par les industriels exploitant l'or noir - que d'ici une trentaine d'années tout au plus, la production de pétrole se sera effondrée drastiquement entraînant avec elle des conséquences économiques et géopolitiques majeures. Les gens de ma génération et celle qui me succède, vont connaître la fin du pétrole ! Or, comme il se trouve toujours des esprits suffisamment stupides pour balayer le problème d'un revers de main par des poncifs tels que "nous aurons trouvé autre chose d'ici là" ou "la science progresse", je tiens à faire remarquer quelques détails d'importance :

- La science n'est ni une religion, pas plus qu'un vecteur de miracles. Si nous savons déjà synthétiser des hydrocarbures de bien des façons, il faut bien comprendre qu'il y a une très nette différence entre capter de l'énergie immédiatement utilisable, et dépenser une certaine quantité d'énergie pour produire des hydrocarbures. En clair, si une technologie nous permet de synthétiser un litre de pétrole en dépensant l'équivalent énergétique d'un autre litre de pétrole, cette technologie ne résout en rien notre problème. Elle ne peut qu'au mieux le déplacer.

- Le pétrole a des propriétés uniques qui sont irremplaçables : outre la très grande quantité d'énergie contenue dans une goutte de ce précieux liquide, il est possible à stocker et brûler à moindre frais. A tel point que pour faire décoller un avion de ligne, nous n'avons strictement aucune solution alternative sérieuse. L'électricité vaut essentiellement pour les petits engins terrestres et les infrastructures fixes, mais pas pour les gros engins nautiques ou aérospatiaux. 

Sans vouloir m'appesantir sur les quelques solutions que nous avons dans les cartons comme le thorium, l'hydrogène ou la méthanisation de matières biodégradables, il faut être clair : ce que nous pourrons faire par de grands investissements stratégiques d'avenir, ne compensera jamais nos besoins quotidiens actuels, et encore moins la pénurie de pétrole à venir. 

IL FAUT DONC RÉDUIRE SIGNIFICATIVEMENT NOTRE CONSOMMATION

Ce qui me permet d'en arriver au réel sujet de cet article : 

S'il est une évidence que reprendre le contrôle de notre pays couvre des enjeux aussi importants que l'instauration de la démocratie et la promotion de la paix dans le monde ou encore la redéfinition de notre contrat social et environnemental, la véritable urgence pour notre génération, c'est décroître !

Non seulement, il s'agit de faire décroître toutes les sources de gaspillage énergétique par la réglementation, la fiscalité, et bien sur le progrès technologique, mais l'on ne pourra s'exempter de méditer la question démographique. C'est une réalité mathématique parfaitement objective de signifier que moins nous sommes de consommateurs, plus nous disposons de temps et de droit à l'énergie pour chaque individu. La croissance démographique érigée en dogme économique (puisque mécaniquement, elle suppose la croissance de la consommation, et donc de la production marchande) est une forme de suicide collectif à petit feu. Un suicide différé certes, et réservé essentiellement à nos enfants, mais un suicide collectif tout de même.

Nous dépendons totalement du pétrole. Des bateaux et des camions acheminent la nourriture que nous consommons avec du pétrole. Nos aliments sont produits avec des engins et des produits chimiques qui nécessitent du pétrole ; nous pouvons accepter un emploi à plusieurs dizaines de kilomètres de notre domicile, uniquement grâce au pétrole ; et nous extrayons l'ensemble des autres matières premières minérales indispensables à notre industrie ou encore à la production d'électricité à grande échelle, toujours avec du pétrole.

Et malheureusement, cette matière première constitue un enjeu géopolitique si puissant, qu'il est difficile de certifier la véracité de tous les chiffres qui nous sont communiqués. L'on sait cependant que déjà, le déclin est amorcé. Les champs pétrolifères de la Mer du Nord sont ainsi épuisés pour plus de la moitié d'entre eux. La quasi totalité des champs de pétrole conventionnel des USA est aussi tarie. Il est désormais nécessaire de pressuriser artificiellement le gigantesque champ pétrolifère de Ghawar (le plus important au monde) pour qu'il libère son précieux liquide en surface. Signe que le pic de production a été atteint. 

Ainsi, pendant que nous nous évertuons à refaire le monde sur les réseaux sociaux, sans jamais le refaire concrètement en commençant par en reprendre le contrôle dans la rue, l'horloge continue de tourner. Et nos perspectives quant à encaisser l'inéluctable s'amenuisent. Aussi, je ne comprends définitivement pas ceux qui me suggèrent de me montrer patient. Je suis un homme averti, et comme beaucoup de mes semblables, je tente progressivement de reprendre assez de contrôle sur ma propre vie, pour trouver le moyen d'assurer mon indépendance alimentaire et énergétique dans un proche avenir. Mais disposer à la fois d'assez d'informations pour en tirer les conclusions pro-survie qui en découlent, ainsi que les moyens matériels d'y parvenir, n'est pas le lot commun de l'écrasante majorité de l'humanité, et pour le moins, du peuple français. Quelle part de la population sommes nous prêts à sacrifier sur l'autel de notre inaction ? Combien de femmes et d'enfants périront dans les zones urbaines le jour où la pénurie de pétrole commencera à frapper d'abord sur les prix, puis dans la disponibilité réelle du produit ? Est-ce que chacun mesure le degré de violence et de famine que la fin du pétrole fera courir à notre population aujourd'hui ultra dépendante de cette ressource ?

Il y a donc bien une urgence véritable à faire la révolution. Nous avons la possibilité de convertir très fortement notre économie en une décennie seulement pour que la France soit en mesure d'absorber (non sans difficultés réelles toutefois) la fin du pétrole. Mais il faut commencer tout de suite !

Ceux qui me connaissent savent bien que je suis rentré dans le bouillon politique à partir de cette inquiétude sur l'épuisement des matières premières. Et je sais que beaucoup de gens de ma génération, partagent cette même inquiétude. Raison pour laquelle, il n'est pas acceptable d'entendre des discours qui laissent à entendre que l'attentisme serait une forme de sagesse. Nous sommes des êtres humains conditionnés à survivre. Si nos réflexes les plus primaires nous engagent à adopter un comportement pro-survie face à un péril immédiat et individuel, certains périls sont tout aussi menaçants et impliquent que notre stratégie de défense soit à la fois collective et et largement anticipée. 

J'en profite pour réfuter l'argument laissant à entendre que ce problème étant d'envergure mondiale, il ne peut donc être résolu que dans le cadre d'une coopération internationale. C'est à la fois vrai et faux. Si nous devons attendre que certains pays prennent des mesures en ce sens, alors autant nous suicider maintenant. Le propre de la souveraineté nationale, c'est de permettre à un peuple de décider directement au sein de son propre territoire politique, des mesures qu'il souhaite appliquer pour se prémunir d'un danger pouvant concerner l'ensemble de l'humanité. Nous ne sommes pas comptables des responsabilités prises ou non par d'autres pays. Nous ne pouvons qu'être responsables de nous-mêmes et nous imposer le devoir de protéger notre population, qu'importe que certains dirigeants internationaux tiennent à envoyer leur propre peuple au bord du gouffre. Nous en avons les moyens. La France est un grand pays industriel jouissant d'une géographie favorable à notre totale indépendance alimentaire et en grande partie énergétique si tant est que nous en prenions conscience.

Que chacun regarde ses enfants dans les yeux, et médite à sa propre part de responsabilité lorsqu'il refuse d'agir dans le sens d'une révolution concertée avec ceux qui savent. Nous sommes une minorité éduquée, mais pas encore agissante. Et la révolution, c'est à dire le renversement du personnel politique actuel et l'implémentation d'une nouvelle doctrine politique et culturelle à même de répondre à tous les périls qui nous font face, est une affaire de responsabilité pour les quelques milliers d'individus ayant parfaitement compris où nous en sommes et quelles sont les solutions qui s'offrent à nous. Le débat politique sur facebook autant que la pédagogie populaire ne sont pas de nature à générer une révolution. Cette dernière ne peut naître que dans la rue, et elle exige que notre dissidence se soulève. Si ce n'est pour elle-même et le peuple dans laquelle elle est inscrite, c'est encore une fois pour nos enfants. Voila pourquoi je parle de responsabilité. Nous pouvons faire le choix de l'inaction si nous n'avons personne à chérir et sauver. Il n'en va pas de même quand on a une famille à protéger...

Il serait temps que le tocsin sonne dans les esprits de ceux qui croient que nous avons tout le temps de débattre de politique entre nous et éduquer la totalité de la population à nos connaissances géopolitiques et économiques. Il est des circonstances historiques, où il est un enjeu vital qu'une dissidence éclairée d'un pays cesse de se renier dans sa propre légitimité à gouverner, et accepte la douloureuse nécessité d'occuper la rue pour prendre le commandement de son pays de façon arbitraire, quand bien même dans une ambition altruiste et protectionniste. Nous offrirons la démocratie et l'Etat social aux Français quand nous aurons le pouvoir. Pour le moment, l'urgence, c'est de le prendre sans nous soucier de notre légitimité ou de la réaction de l'oligarchie à tout ce que nous entreprendrons contre ses intérêts. Ayons un peu de courage, d'autres avant nous sont morts pour que nous héritions d'un pays sur lequel personne d'autre que notre peuple puisse le gouverner. Où se trouve notre mérite et notre honneur si l'on se comporte comme des moutons fébriles et apeurés à l'idée de tout changer ?

Changeons le monde tout de suite et concrètement !

Il y a urgence !

lundi 2 janvier 2017

Tout le monde n'est pas Ambroise Croizat

Lorsque le 10 Février 1951, Ambroize Croizat exhalait son dernier souffle, il n'imaginait sans doute pas que quelques jours plus tard, sa dépouille serait suivie par plus d'un Million de Français jusqu'à sa dernière demeure. L'architecte de la Sécurité Sociale était à la foi communiste et syndicaliste. Il était de ceux qui contribuèrent aux grandes grèves du début du siècle dernier, et qui, par sa ténacité, son engagement sans faille et son intégrité totale en faveur des travailleurs français, fut plébiscité par ses pairs pour intégrer l'assemblée consultative du Conseil National de la Résistance, avant de devenir Ministre du Travail dans le Gouvernement Provisoire formé par le Général de Gaulle à la Libération.

A l'inverse, lorsque Marc Blondel, Secrétaire Général du syndicat Force Ouvrière décède le 16 Mars 2014, en dehors de quelques timides hommages de quelques oligarques, les Français ne témoigneront d'aucun intérêt particulier à la disparition de cet homme. De la même façon, François Chérèque, qui jusqu'il y a peu, occupait les fonctions de Secrétaire Général de la CFDT et qui vient de nous quitter le 2 Janvier 2016, ne nourrira une attitude endeuillée que pour quelques oligarques et grands patrons. Les Français dans leur ensemble affichent une royale indifférence quant à sa disparition.

Il faut dire que le temps des grands leaders syndicaux nous appelant à des grèves illimitées et dures pour ne serait-ce que sauvegarder le droit du travail existant à défaut de revendiquer de nouvelles conquêtes sociales, est bien loin derrière nous. A peine 8 % des salariés français sont syndiqués, dont l'essentiel dans la fonction publique. Une représentativité au-moins aussi légitime que nos oligarques qui se font élire en surfant tant sur la propagande des médias aux ordres que l'abstention massive des Français.

Le constat est même accablant si l'on prend le temps d'observer d'autres facettes du syndicalisme d'aujourd'hui. La CFDT dispose de placements financiers dépassant les 200 Millions d'euros de capitalisation. La CGT dispose pour sa part de plus de 30 Millions d'euros de "valeurs mobilières de placements" sur son bilan comptable de l'année 2015. Quant aux comptes de Force Ouvrière, ils révèlent que l'association se porte bien avec plus de 30 Millions d'euros de capital financier disponible pour l'année 2015.

Camarades, si vous considérez votre syndicat comme étant le bras armé du travailleur contre la toute puissance du Capital, pardonnez-moi pour la gueule de bois qui risque de découler de ces quelques chiffres.

N'étant à la foi pas spécialiste de l'histoire des syndicats, ni assez passionné par la question au point de me livrer à des recherches de toute une nuit, je me contenterai de signifier ce que quelques renseignements épars nous permettent de comprendre. Tout d'abord, il y a la scission entre les communistes et les trotskistes au début des années 50, notamment par désapprobation de l'entrisme revendiqué des lambertistes (trotskistes), qui appelaient les militaires français au début de la seconde guerre mondiale à "la défaite révolutionnaire", tout en pénétrant les partis ouvertement fascistes ou collaborationnistes afin d'y laisser leurs agents d'influence. Les communistes d'hier détestaient férocement les "hitléro-trotskistes" notamment pour ces raisons, et pourtant, les communistes d'aujourd'hui ont été définitivement vaincus par l'entrisme de ces derniers. C'est une longue histoire que je découvre, qui est complexe, et sur laquelle je ne m'appesantirai pas. Je soulèverai simplement que nombre de syndicats étudiants ou partis politiques se disant "anti-capitalistes", sont totalement issus de cette mouvance. Ce qui est essentiel de noter du point de vue idéologique, c'est que les trotskistes sont moins dans l'analyse complexe de l'économie et la socialisation progressive de la société, que dans l'incantation pseudo-révolutionnaire. 

Vient Mai 68 qui malgré les accords de Grenelle, signe la dégénérescence du PCF et la progression de l'entrisme des trotskistes au sein du PS, du PCF lui-même, et des syndicats. Daniel Cohn Bendit, ou Marc Blondel sont ainsi les purs produits idéologiques de cette période. L'entrisme menant vite à l'opportunisme, et finalement à accélérer tant et si bien une carrière politique, que les idéaux révolutionnaires ne deviennent plus qu'un faire-valoir cosmétique pour camoufler la réalité des ambitions personnelles de ces parvenus. 

En 1973, est créée la Confédération Européenne des Syndicats, d'inspiration chrétienne et libérale, et vite adoubée et subventionnée par les eurocrates de Bruxelles. Dès sa création, F.O et la CFDT y adhèrent, tandis que la CGT se voit refusée d'y entrer en 1974 du fait de valeurs non partagées (ce qui avait encore du sens à l'époque). Néanmoins, la CGT persiste, et c'est sous l'égide de Bernard Thibault qu'elle y fait son entrée en 1999. 

Entre temps, Mitterrand a achevé de détruire le PCF en obtenant son soutien lors des présidentielles de 1981, puis en le trahissant dès 1983 par l'adoption d'une politique ultra libérale que Georges Marchais dénoncera régulièrement, jusqu'à ce qu'il cède la place en 1993 à Robert Hue. Sous l'égide de ce dernier, le PCF abandonne sa faucille et son marteau, ainsi que son orthodoxie léniniste-marxiste. Désormais, il y aura plusieurs courants, dont celui des europhiles (évidemment incarné par les trotskistes).

Ce déclin du Parti Communiste et le remplacement méthodique de ses valeurs originelles par de nouvelles générations biberonnées aux thèses véhiculées par les soixante-huitards, a eu un impact considérable sur le syndicalisme. la CGT étant historiquement à la foi le plus vieux et le plus important syndicat français, elle était aussi un gigantesque réservoir de communistes. Le déclin de ces derniers ne pouvait qu'aller de pair avec l'agonie de la première.

Voila donc où nous en sommes : des syndicats n'ayant plus aucune idéologie motrice ferme, plus de soutien politique d'un PCF autrefois puissant (et réellement communiste), mais des structures désormais nourries financièrement par le patronat et les élus trop contents de trouver des voix à prendre à coups de subventions publiques (quand il ne s'agit pas d'acheter la paix sociale sur des réformes douloureuses). Terminés les appels à la grève générale, terminées les luttes qui se gagnent à l'occupation sans discontinuer des rues de Paris.

Une petite grêvounette de branche quelques jours par an, d'aimables manifestations histoire de promener nos communistes vieillissants aux côtés de la jeunesse de Tolbiac et de Science-Po, qui pour sa part est déjà prête à faire carrière dans les coursives du pouvoir moyennant quelques slogans sur la cause gay ou féministe. Nous en sommes réduits au pays de la Commune de Paris et des grandes grèves ayant conduit le Front Populaire au pouvoir, à assister à des parades folkloriques où les fanions rouges s'étiolent sous les emblèmes arc en ciel du milliardaire Pierre Bergé.

Le syndicalisme authentique est mort et ne renaîtra pas de ses cendres aisément. Nous avons affaire à des syndicats de connivence, dirigés par des personnages sachant parfaitement exprimer pour la forme un coup de gueule à la télévision, tout en rassurant en coulisse le politicien sur la longueur extensible des chaînes avec lesquelles il souhaite étrangler le travailleur.

Le plus triste dans cette histoire, c'est que jamais les syndicats n'ont été si abondés en argent pour garantir la solidarité de leur structure avec des grévistes. Jamais il ne fut plus facile qu'aujourd'hui, pour un leader syndical, d'appeler à la grève générale en bénéficiant d'un large écho avec l’avènement des réseaux sociaux. Autrefois, il fallait compter sur des milliers de porte-voix dans les usines et des tonnes de tracts imprimés et distribués. Aujourd'hui, une simple vidéo sur Youtube pourrait suffire à obtenir les résultats qu'hier on obtenait avec force huile de coude. Un appel à une grève générale, longue, radicale et résolue qui est très attendu des Français et qui ne vient toujours pas. Pourtant, ces derniers n'espèrent que ça de pouvoir enfin rebattre le pavé comme nos aïeux l'ont fait, et récupérer tout ce que le programme des Jours Heureux avait introduit de régulations et de lois contraignantes pour les puissances d'argent.

Mais si l'on parle désormais de syndicats jaunes en France, il y a fort à craindre que ce soit pour leur propension à nous pisser dessus dès que les premières flammes de notre colère viennent lécher le pied des Secrétaires Généraux. 

Dans l'histoire, tout est toujours question humaine.  Une idée, une loi, une mobilisation populaire, rien n'apparaît spontanément. Il y a toujours un être humain pour porter une cause avec plus ou moins de talent, de sincérité et d'acharnement. C'est peut-être ce qui sauvera le syndicalisme en France,  à savoir l’émergence d'un leader qui n'aura que faire des petits arrangements politico-carriéristes, et qui enverra valdinguer la Confédération Européenne des Syndicats, Pierre Bergé et ses ouailles néo-lambertistes, l'oligarchie, les traités, le consensus mou ; tout cela en appelant tous les Français à cesser le travail et déferler sur Paris.

Ce temps n'est pas encore arrivé. C'est donc hors des syndicats que la bataille se poursuit pour le moment. Quant à François Chérèque, qu'on me pardonne de ne pas vouloir lui rendre hommage. Les traîtres restent des traîtres, y compris par-delà la mort. C'était un larbin de l'oligarchie comme les autres, et d'ailleurs, je vous donne mon billet qu'il n'y aura pas foule pour suivre sa dépouille vers sa dernière demeure. Tout le monde n'est pas Ambroise Croizat....