vendredi 15 décembre 2017

Liberté d'expression vs culte victimaire

Lorsque j'étais enfant, je me souviens que lorsque je me faisais mal ou faisais connaître mon désarroi par des sanglots, ma mère et plus encore ma grand-mère se plaisaient à me répéter : "les garçons ne pleurent pas"

L'effet était radical : par fierté mal placée, je prenais sur moi pour ne plus pleurer puisque je souhaitais ressembler à un homme et non pas être considéré comme un enfant ou une fillette. Bien évidemment, les hommes pleurent comme tout le monde, et il ne s'agit pas ici de nier cet aspect organique de nos émotions, qu'importe notre sexe. Mais je souhaitais à travers cet exemple, démontrer que l'on peut faire le choix de ne pas conforter quelqu'un dans son mal être, quel qu'il soit, et au contraire lui donner des armes intellectuelles ou psychologiques, pour l'inviter à dépasser ses faiblesses.

Cela me semble d'autant plus essentiel aujourd'hui, que les choix politiques en vigueur, visent à faire de chacun, une potentielle victime permanente d'autrui. Commençons par dresser une liste non exhaustive de condamnations de Justice en lien avec le problème soulevé aujourd'hui :

C'est ainsi très récemment, qu'un homme ayant eu un propos humoristique (et graveleux certes) à l'égard de la gente féminine, s'est vu condamné à 1000 € d'amende par le Tribunal d'Annecy, permettant à l'association "les chiennes de garde" de se féliciter de cette décision de justice.

L'an dernier, c'est l'ex-députée Christine Boutin qui s'est vue condamnée pour avoir dit que "l'homosexualité est une abomination" par la Cour d'Appel de Paris.

Un mois auparavant, c'était l'humoriste Dieudonné qui écopait d'une nouvelle condamnation pour incitation à la haine.

Cette année, ce sont pour des propos considérés comme islamophobes, qu'Eric Zemmour a eu aussi le droit à son procès en mal-pensance et a été condamné.

Je pourrais poursuivre la litanie des condamnations de Justice, mais quelques-unes suffisent amplement à faire valoir que les lois réprimant "les incitations à la haine" sont bien opératives.

Commençons cependant par l'histoire juridique de ces lois. D'abord, nous avons évidemment les Droits de l'Homme, qui dans la déclaration de 1789 disent tout et son contraire dans ses articles 10 et 11 :

Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.

Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Notons pour commencer que dès lors qu'il est considéré que certaines opinions sont de nature à créer un trouble à l'ordre public ou peuvent correspondre à un abus déterminé par la loi, il n'y a donc pas de Liberté d'expression, mais bien des opinions légales et d'autres non. Il est donc fallacieux de parler de Liberté d'opinion ou d'expression en France, puisque tel n'est pas le cas, contrairement à ce qui est aux Etats-Unis d'Amérique. Ce qui me permet au passage de faire remarquer que les Américains malgré tous les défauts que nous pouvons leur reprocher, ne semblent pas connaître de difficultés particulières à vivre en Société, malgré l'absence de lois réprimant certaines opinions.

Une autre loi importante découle de ces limites que nous nous imposons, notamment au-travers de l'article 24 de la loi du 29 Juillet 1881 sur la Liberté de la presse :

Seront punis de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, à commettre l'une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.

Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.

Seront punis des peines prévues par l'alinéa 1er ceux qui, par les mêmes moyens, auront provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.

Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.

Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

Cette loi avait pour but (notamment) de prévenir les différentes formes de propagande de guerre que réprime d'ailleurs l'article 20 du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques de l'ONU ayant été ratifié par la France le 4 Novembre 1980. Nous attendons toujours à ce titre que Messieurs Sarkozy, Bernard Henri Levy ou Laurent Fabius, soient poursuivis et condamnés pour leurs crimes.

Mais comme cela ne suffisait pas, le gouvernement actuel s'est permis de légiférer par décret (donc sans consultation du parlement) pour que les mal-pensants du quotidien, puissent être poursuivis quand bien même leurs propos ne sont pas publics :

Article R625-7

La provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe.

Est punie de la même peine la provocation non publique à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, ou de leur handicap, ainsi que la provocation non publique, à l'égard de ces mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7.

Les magistrats font ainsi reposer leurs condamnations sur deux aspects de la loi qui sont extrêmement contestables :

1) Dire qu'un humoriste, polémiste ou simple citoyen, par un propos sulfureux voire xénophobe, tient à provoquer la haine autour de lui (dans le champ de ses propres considérations), suppose que cela soit corroboré par des témoignages de personnes, révélant très clairement que le propos lu ou entendu, a bien déclenché en eux une "poussée de haine", voire les a incité à commettre des délits et crimes contre les personnes ou communautés visées. Je souhaite ainsi bien du courage à nos magistrats pour récupérer ces témoignages, j'y reviendrai un peu plus loin.

2) La "haine" n'est pas une donnée objective et mesurable. On peut accuser quelqu'un d'avoir un propos haineux ou d'avoir de la haine en lui, mais personne n'est dans sa tête pour le prouver clairement. La haine étant une émotion et non une pensée, il me paraît nul et non avenu de justifier une condamnation sur un tel motif, puisqu'il est raisonnablement impossible de faire la démonstration de ce sentiment.

3) Admettons tout de même que quelqu'un soit reconnu comme "haineux", voire xénophobe, il me semble que dans ce cadre, nous sortons du terrain des opinions pour entrer sur des considérations plus psychologiques ou psychiatriques. N'importe quel thérapeute dira d'ailleurs que quelqu'un qui vit dans la haine d'autrui, est une personne en grande souffrance et ayant besoin d'aide. Certainement pas d'être puni du fait de sa pathologie mal gérée.

De la même façon que la loi est totalement absurde lorsqu'elle condamne un toxicomane pour détention et usage de stupéfiant, elle se montre tout aussi stupide et inhumaine en réprimant les propos de quelqu'un rempli de haine. Elle ne traite en rien le problème, ne permettra pas au condamné de soulager sa conscience, comprendre la racine de son pathos, et l'on peut même dire qu'une telle condamnation risquera surtout de conforter la personne condamnée dans son sentiment d'injustice et de haine.

Si nous tenons compte des quelques exemples de condamnation cités plus haut, il me parait difficile de considérer que nous avons à faire à des gens haineux qui encouragent leurs concitoyens à se montrer violents envers n'importe quel groupe d'individus ou communauté. Dans deux cas, nous avons un propos humoristique détourné de sa logique initiale, dans deux autres cas, ce sont des opinions qui certes peuvent heurter, choquer ou inquiéter comme la Cour Européenne des Droits de l'Homme le précise dans un arrêt devenu célèbre, mais sans que cela soit de nature à inciter quiconque à commettre un crime, ni justifier à priori de "la haine" de leur émetteur. 

Madame Boutin considère que l'homosexualité "est une abomination" et c'est son droit le plus strict de le dire et de le penser. Cela ne préjuge pas que votre humble serviteur qui a donc lu sa déclaration, se trouve incité à penser la même chose que cette dame. De la même façon que la majorité des gens ayant eu à entendre son point de vue, n'est pas devenue par l'opération du saint esprit, homophobe au dernier degré. D'ailleurs, peut-on dire que le propos est homophobe ? Là-dessus, il pourrait aussi y avoir débat.

M. Zemmour en attaquant régulièrement la culture islamique en évoquant l'idée que les principes de cette religion ne sont pas fongibles avec les principes républicains, n'a encouragé personne à zigouiller des musulmans. Bien moins en tout cas qu'un BHL, Fabius ou Sarkozy qui pour leur part, n'ont cessé de communiquer pour nous faire accepter des guerres ou l'armement de terroristes en Syrie. Il ne fait qu'émettre une opinion, et il revient à chacun d'user de son sens critique pour être d'accord ou non avec lui. Mais en aucun cas, la loi ne peut dire pour tout le monde, ce qu'il est convenu de penser ou non. Car ce n'est pas seulement l'émetteur d'une opinion qui se trouve menacé dans ses libertés fondamentales, c'est bien l'ensemble du peuple. Car s'il est une preuve du mépris des classes dirigeantes à l'égard de la population toute entière, ce sont bien ces lois. Elles partent d'emblée sur un postulat que je trouve extrêmement dégradant et dangereux pour la personne humaine : la reconnaissance tacite de notre manque de discernement. 

Chaque fois qu'un Soral, Dieudonné, Zemmour ou tout autre mal-pensant est condamné, ce sont les gens qui pourraient avoir à entendre leurs propos, que l'on déclare ipso-facto, comme incapables d'exercer un raisonnement critique. Et c'est en ce sens que les lois qui répriment les opinions, sont clairement totalitaires autant qu'elles sont l'expression de l'abolition totale de discernement du législateur. Nos députés et ministres, nous considèrent à ce point débiles, qu'ils sont convaincus que nous sommes incapables de peser le pour et le contre sur n'importe quel propos entendu. Un mépris que l'on retrouve aussi dans leur communication sur "la pédagogie" à employer, pour que le citoyen désormais réellement considéré comme trop stupide, comprenne le bien-fondé des réformes qu'il conteste.

Allons encore un peu plus loin sur le problème posé par ces lois. Que dit-on en substance aux "victimes" d'une opinion hostile à leurs origine ethnique, leur croyance, leur sexe ou orientation sexuelle ? En leur donnant le droit d'intenter une procédure contre le mal-pensant du moment, il est signifié par là qu'un propos qui nous incommode, n'a plus de raison d'être combattu directement (on s'explique avec la personne) ou simplement ignoré. Désormais, une autorité morale devra trancher la question. Cela afin de conforter (ou non) la dite victime dans son sentiment d'oppression. Mais dans une Société équilibrée, qui plus est lorsqu'elle sacralise l'individu, il devrait être logique d'armer chacun à savoir se défendre contre toutes les imbécillités et quolibets que nous pouvons entendre à notre propos. Lorsque j'étais enfant, je subissais du harcèlement constant à l'école. Aujourd'hui adulte, je suis constamment diffamé par des "SJW" (Social Justice Warrior) anonymes sur les sites talibantifas. Bien entendu, dans les deux cas, cela m'a toujours affecté. Mais c'est bien parce que la vie est éprouvante que l'on se renforce moralement et que l'on apprend à savoir répondre ou ignorer un propos désobligeant à son encontre. Si le législateur laisse à entendre que l'individu n'est pas apte à savoir répondre ou ignorer de lui-même un propos jugé "discriminant", "haineux" ou "xénophobe", dans ce cadre, quelle la vision de l'Homme qui est plébiscitée ici ?

Non seulement il est nié que l'auditeur ou le lecteur d'un propos sulfureux puisse faire usage de son libre arbitre sur ce qu'il a lu ou entendu, mais il est tout autant nié à chacun, le fait que nous soyons dotés des capacités psychiques et intellectuelles permettant de répondre à ce propos, et pour le moins, recouvrer après quelques minutes ou quelques heures, un état d'indifférence général par rapport à ce qui a été dit. 

Alors bien évidemment, il y aura toujours des gens d'une extrême fragilité psychologique. Parfois pour des raisons liées à un trauma bien réel, parfois sans raison particulière. Mais la loi est établie pour servir l'intérêt général et non des intérêts particuliers. En outre, ce n'est certainement pas une décision de Justice (plus encore si elle est favorable à la dite "victime")  qui permettra à la personne lésée par une opinion, de se renforcer psychologiquement pour dépasser ces épiphénomènes. La Justice n'est pas un hôpital psychiatrique.

En clair, une tendance générale vise à réduire toujours plus le champ de la Liberté d'expression, mais derrière les apparences de la vertu, les lois qui sont promulguées véhiculent une certaine idée de l'être humain que je trouve absolument détestable. Que l'on soit incriminé ou dénonciateur dans de telles procédures judiciaires, toute la complexité de l'esprit est ici niée. Le libre arbitre est considéré comme inexistant, les victimes sont renvoyées à leur statut de "victime permanente" en raison de leur appartenance à un groupe communautaire particulier (ce qui heurte l'indistinction des citoyens sur leurs origines en République), et personne n'osera dire à ces dernières que ce n'est pas de Justice dont elles ont besoin, mais d'une thérapie. 

A ce titre, si vous êtes une femme et que vous entendez un propos clairement misogyne et ne relevant pas de l'humour, je vous propose une procédure nettement plus simplifiée que le recours au Procureur de la République : un bras d'honneur fait dans les règles de l'art. Si vous êtes victime d'un propos clairement raciste, je vous propose de résoudre le litige qui vous oppose avec votre interlocuteur, par un bon vieux "je t'emmerde gros con". Si vous êtes homosexuel et que vous croisez Christine Boutin, je vous suggère une royale indifférence, ce qui énerve autrement plus un politique que tout autre type de réaction.

Mais dans tous les cas, si ce n'est l'appel au meurtre, la propagande de guerre, la calomnie et/ou la diffamation publique, il me semble que la meilleure façon d'élever l'Homme à sa dimension d'être pensant, complexe et responsable de ses actes et propos, c'est de ne pas judiciariser nos pensées, tant pour protéger cette liberté fondamentale intrinsèquement liée à la Démocratie, que pour permettre à chacun d'apprendre à savoir dépasser la bêtise ordinaire et ne jamais la prendre pour soi. A ce titre, les lois mémorielles autant que celles qui répriment les différentes formes "d'incitation à la haine" doivent être abrogées. Elles ne traduisent que le mépris de l'Oligarchie pour le peuple et les personnes, et certainement pas une volonté de protéger les plus faibles. Si l'on ne sait pas se défendre soi-même face à de simples mots, c'est que la Société ne nous donne aucune arme, aucun encouragement à nous renforcer et dépasser nos affects particuliers. Ces lois promeuvent la faiblesse mentale, loin de tenter de nous en préserver.

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